les gens en face de moi

Publié le par Théodora Olivi, cf album ci-contre

Il y a bien longtemps déjà que je voulais faire ces photos.

 

Le voyage quotidien et répétitif que nous effectuons tous les matins en transports en commun se situe dans un espace-temps comme entre parenthèses.

L'habitude et l'agitation ambiantes, le fait brutal de se retrouver propulsé avec des inconnus alors que l'on sort à peine d'un univers familier provoque un état de stase néanmoins empli de tensions et d'individualités entrechoquées.

C'est un espace-temps très exigeant.

En effet, si l'on ne prend pas garde au détail, si l'on ne rentre pas dans d'infimes particularités, ce trajet forcé nous semble vite être une contrainte pénible et usante.

Pour ainsi dire, je ne connais personne qui soit ravi de faire trois quart d'heure du même chemin, tous les matins et tous les soirs.

Comment réussir à être, malgré tout, acteur et partie prenante de cet espace-là ?

Comment continuer à s'incarner, comment ne pas se laisser réduire à l'état d'objet que l'on mène indifférement d'un point A à un point B ?

Certaines personnes lisent, quelques étudiants révisent, il se peut que l'on retrouve des amis pour papoter, une sieste est envisageable, une méditation également...

Dans l'intimité et la promiscuité des places en face à face, des regards se cherchent et se fuient, souvent gênés, souvent agacés de tomber fatalement sur un autre, là, juste là, trop proche.

Comme Walker Evans avant, comme Luc Delahaye il n'y a pas si longtemps, j'ai choisi de regarder ces gens là, ces gens en face de moi, toujours - et ce sans qu'il s'en doutent.

 

 

 

La prise de vue est en couleur, le diaphragme est fermé de façon à ce que tout ce qui rentre dans cette sorte d'iris soit net. Ce cercle là, cet effet de scission qui souligne le sujet principal, est obtenu avec une lentille sortie d'un laboratoire de recherches optiques. Je ne sais absolument pas à quoi elle pouvait bien servir là-bas, mais ce que je sais, c'est que c'est une lentille magique, outil idéal pour servir ce projet photographique. Je m'explique: cette lentille, en plus de découper et d'arrondir l'image, permet une prise de vue à 90°. C'est ainsi que je peux coller mon objectif à la vitre du tramway et faire mine de regarder dehors, alors que c'est la personne en face de moi qui est directement dans mon champ d'observation.

Dans ce cas-là, la photographie est une violence fantomatique infligée au sujet, c'est une duperie habile.

Le fait de ne pas s'impliquer franchement - le fait de recourir à un procédé qui "bluffe" par un tromperie sur l'espace entre l'oeil-machine et la personne - rend compte, il me semble, de la complexité des rapports humains, de la difficulté à s'affirmer (en tant que voyeur définitif et convaincu).

Cette attitude qui biaise, un peu lâche, très solitaire, me permet aussi d'obtenir, paradoxalement, une certaine franchise à l'intérieur de l'image même.

 

J'ai choisi de monter 5 hommes, 5 femmes.

10 visages devant moi dont j'ai fixé le passage dans mon quotidien.

 

Tous les jours, nous faisons à la fois un trajet et un voyage.

Nous dépensons et dispersons de l'énergie.

 

Je cherche discrètement à capter ces flux...

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